CIV : A la découverte du Musée des Civilisations d’Abidjan (3ème partie)

  • Par Akina De Kouassi
  • 31 Mars 2020
  • 1558 vues

Le Musée National des Civilisations de Côte d’Ivoire se présente au niveau architecturel sous forme de plusieurs bâtiments. Le plus impressionnant de ces bâtiments est celui sous forme de la lettre U qui nous plonge dans la pure tradition africaine.


Quelles sont les grandes lignes de fonctionnement du musée ?

Il fonctionne selon la mission qu’on lui assigne. Il y a deux entités dans le musée. Il y a la dimension administrative. Le directeur est la personne habilitée à définir les grands axes de la politique générale du musée. Je réponds devant le législateur, devant la loi. Je suis chargée de rechercher des partenariats… Et puis il y a la dimension technique. C’est la documentation, la conservation, la présentation et l’animation. On a aussi des restaurants pour permettre aux visiteurs qui viennent d’être dans un cadre agréable.

En matière de conservation ce n’est pas l’UNESCO qui définit la politique ou qui soutient ; mais elle nous accompagne. Il ne faut pas oublier que le concept du musée est occidental. Les africains ont toujours eu à l’idée que le musée est un établissement qui accueille des personnes de classe élitiste.  Mais tout dépend de la vision, de la politique du directeur. Le challenge pour tout directeur, c’est le niveau de fréquentation. Un musée, c’est fait pour être vu, fréquenté. Quand nous sommes arrivés en 2006, nous nous sommes rendu compte qu’au niveau des catégories du public, les occidentaux étaient ceux qui étaient en première position. Ensuite il y a avait les autres communautés africaines et les nationaux venaient en dernière position. C’est ce que nous avons vu en 2006 quand nous sommes arrivés. A l’époque, la moyenne de visite était 8 mille entrées par an. Aujourd’hui, je vous assure que la tendance est renversée. Nous avons élargi la base de notre public en allant vers les écoles. Parce que ce sont ces élèves qui vont assurer la relève de la défense du patrimoine culturel. La deuxième stratégie, même si ce n’est pas formel, c’est un partenariat avec des hommes des médias. Il faut communiquer beaucoup autour du musée. Il y a la formation des journalistes culturels pour avoir les notions élémentaires de ce que c’est qu’un musée. Nous sommes passés de 8 mille à 45 mille entrées par an. Mon rêve, c’est d’atteindre 200 à 500 mille entrées par an. C’est possible car en Afrique de l’ouest, s’il y a un peuple qui peut se prévaloir la diversité culturelle, la Côte d’Ivoire fait partie de ces peuples. Et j’ai eu la chance de faire beaucoup de voyages où j’ai constaté que dans les ventes et expositions publiques, la Côte d’Ivoire est représentée.

Qu’est-ce que vous attendez de l’Etat ?

Les dirigeants africains sont en train de s’approprier leur culture. Quand j’ai commencé ma thèse, j’ai dit qu’il n’était pas normal qu’un pays comme la Côte d’Ivoire ne puisse pas signer la convention de 1995 qui dit que tous les objets qui ont été pillés peuvent nous revenir. Cette convention de 1995 est en procédure de ratification par la Côte d’Ivoire et cela est à encourager. En Côte d’Ivoire aussi, il y a le projet de construire un grand musée de type pharaonique et c’est sûr que ça sera accompagné de lois. Nous attendons qu’il y ait des lois qui protègent et qui promeuvent les cultures ivoiriennes. Ensuite, que le musée soit doté de moyens conséquents, parce que l’art coûte cher. L’Etat fait beaucoup mais il faut que les entreprises nationales nous accompagnent.

Comment avez-vous restauré le musée des civilisations de Côte d’Ivoire qui a été pillé lors de la dernière crise politique et militaire en 2010 ?

Nous n’avons pas encore eu les résultats des enquêtes. Le musée des civilisations a perdu plus de 121 pièces au cours de cette crise. Parmi lesquelles nous comptons les collections d’or du Président feu Félix Houphouët-Boigny. 121 pièces d’une valeur marchande de 3 milliards 800 millions de francs Cfa. Quand ça se passe comme ça dans un pays, c’est dramatique parce que c’est tout un pan de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui est parti. Nous connaissons le sens de l’or chez les Akan.

Et si un riche homme d’affaire voulait acheter tout le musée, combien cela peut lui coûter ?

Non, il ne peut pas l’acheter. Je sais qu’après la deuxième guerre mondiale, lorsque l’Allemagne s’est retrouvée ruinée, ce qui a pu sauver l’économie Allemande, c’était les 700 milles objets que Hitler avait volés aux nations ; ils ont été mis en gage dans les banques  pour avoir l’argent nécessaire. Il peut arriver exceptionnellement, lorsqu’un pays traverse une crise et qu’on voit que dans les collections nationales, il y a dix objets qui sont identiques,  on peut prendre un ou deux objets pour les monnayer… Il peut arriver qu’un pays traverse une crise, on peut prendre les objets du musée pour les mettre en gage dans une banque internationale centrale, le temps d’avoir l’inflation pour la masse d’argent nécessaire. Mais c’est en gage pour un certain nombre d’années seulement.

Quelles sont les initiatives que vous avez prises pour booster le nombre des visites au musée depuis votre prise de fonction ?

J’ai d’abord fait l’état des lieux quand je suis arrivée. C’était de savoir si le musée comportait le minimum de ce qu’il fallait. Est-ce que tout ce qu’il fallait pour que le musée, sa conservation, sa protection sont garantis. Quand on rentre dans une salle d’exposition, est-ce qu’il y a des problèmes d’étanchéité ? Pour ne pas que l’humidité dégrade les objets qu’on a mis là-bas. Dans les musées, il y a ce qu’on appelle l’humidité relative. On prend la température de la salle qui doit équivaloir à un certain degré.  On fait aussi l’état des lieux concernant l’éclairage. Parce qu’il y a aussi comment éclairer une salle. On ne peut pas prendre une lumière qui chauffe. Ensuite, nous avons attaqué le volet public. Nous nous sommes rendu compte de ce que les autorités ne rentraient pas dans le musée. Nous avons donc nommé un ambassadeur du musée. Notre premier ambassadeur, c’était Tchi Tchi N’guessan. Avec lui, nous avons ouvert des portes. Au niveau de la Bad, ils ont refait notre éclairage, et l’ambassadeur a mis son réseau relationnel à notre disposition. Nous avons tourné le musée vers l’international. Là où les occidentaux ont peur de faire venir leurs objets en raison du climat en Afrique, nous avons réussi à les faire venir. La Suisse est venue par deux fois. Le jour où tous les membres du gouvernement vont décider de venir visiter le musée, j’aurais gagné mon pari.  

Quel est le programme du musée ?

Le musée a un programme chargé. Il y a des activités même du musée et il y a des activités que le musée accueille.  

Est-ce qu’il y a des pièces d’attraction particulière qui méritent qu’on se déplace ?

Toutes les pièces méritent qu’on se déplace. Parce que toutes les pièces parlent de la culture de la Côte d’Ivoire, donc véhiculent un savoir. Le musée, c’est une école.

Vous avez fait beaucoup de visites dans des musées du monde, comment cette expérience vous aide à mener à bien celui que vous dirigez ?

Effectivement, c’est un grand avantage pour moi, d’avoir faire assez de voyages et des stages dans de grands musées du monde. Ce qui m’a vraiment marquée, c’est ma formation dans des musées aux Etats-Unis et aussi au musée du Quebranli. Là-bas, les musées étaient considérés comme des entreprises qui se donnent des objectifs à atteindre. Là-bas, j’ai eu l’expérience en ressources humaines pour diriger le personnel, et surtout l’expérience en sécurisation.

Etes-vous prête à laisser notre musée si un autre plus grand dans le monde venait à vous débaucher ?

C’est parce que vous ne me connaissez pas que vous posez cette question. Chaque fois que je vais en mission, au bout de deux semaines j’ai la nostalgie de mon pays. Et plusieurs fois j’ai eu ces propositions mais j’ai refusé. 

Votre mot de fin pour inviter le public à venir visiter le musée ?

Nous sommes à l’ère de la mondialisation où chacun va au rendez-vous du donner et du recevoir avec ce qu’il a en valeur propre. On dit que la Côte d’Ivoire est première en matière d’agriculture, mais c’est faux si on regarde le coût des denrées alimentaires au niveau du marché. Parce que nous ne sommes pas maitres de ce que nous produisons. Ce qui nous appartient à nous, dont nous sommes maitres, c’est notre culture. Et comme dirait l’autre, c’est ce qui nous reste quand on a tout perdu. Venons découvrir notre culture à travers le musée. Toute la mémoire de Côte d’Ivoire y est au niveau économique, politique, social, etc…

Fin

Quelles sont les grandes lignes de fonctionnement du musée ?

Vous avez apprécié ? partagez ...


Articles connexes