TIBURCE KOFFI :"LES ARTISTES SONT DES CHATS !"
- Par Aboubacar Ben Doumbia
- 20 Dec. 2024
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Journaliste culturel, auteur dramatique, scénariste, écrivain et musicien Tiburce Koffi, dans le monde de la culture en Côte d’Ivoire, est une référence.
En cette fin d'année 2024, il a accepté de se prononcer sur l'actualité du moment. Dans cette première partie de notre interview nous vous invitons à le re-découvrir...
Avec votre présence à la tête du BURIDA, l'on constate que cette "chaudière de crises à répétition" s'est refroidie depuis quelques temps. Quel est le secret de la paix au Burida ?
"Je n’avais pas vraiment d’appréhensions quant à la réussite de cette mission que le ministre Maurice Bandama m’avait confiée, bien sûr, avec l’aval du chef de l’État. J’ai une connaissance indiscutable du milieu artistique et culturel de mon pays. C’est depuis l’âge de 15 ans que je hante ce milieu. J’ai 69 ans. Faites le calcul. Il n’y a pas un seul domaine de nos arts que je n’ai connu. Je bénéficie d’un réel capital de sympathie dans la famille des hommes de théâtre, des plasticiens, des cinéastes ; et surtout des écrivains et des musiciens ; ces derniers sont majoritaires au BURIDA.
La boîte avait besoin d’un homme neuf, non impliqué dans les intrigues et querelles qui l’avaient paralysée. Journaliste culturel, auteur dramatique, scénariste, écrivain, et musicien, je suis un membre honorable de la famille. Les sociétaires m’ont alors bien accueilli, et m’ont fait confiance. J’ai pu ainsi travailler dans un climat de paix qu’ensemble, avec les membres du Conseil de Gestion et de Restructuration (COGER), nous avons instauré."
Quels sont, d’après vous, vos armes et atouts principaux ?
"La connaissance du milieu, l’écoute, la disponibilité, la célérité à traiter les dossiers et à régler les problèmes des sociétaires. Voilà comment j’ai gagné la confiance de la plupart d’entre eux. Mais comme même au Paradis, il y a des mécontents et des conspirateurs, vous entendrez, de temps en temps, quelques bruits de bottes, mais pas du tout méchants. Je rencontre ces mécontents, on discute, et on finit toujours par s’entendre. Vous savez, les artistes sont, souvent, de gros bébés ou des chats : ils ont besoin d’attention, de considération, d’écoute. J’en suis un, moi-même. Je sais donc de quoi je parle."
Parlons littérature. Comment est née votre passion pour les livres ?
"Comme toute passion. Dans un contexte favorable. Ce contexte favorable, pour moi, c’est la famille, et la Côte d’Ivoire de ces années de mon adolescence où il y avait place pour l’éducation intellectuelle. Le livre avait son importance. La maison familiale abondait se livres. Des livres partout. Je ne pouvais pas ne pas être littéraire."
Lauréat du prix Bernard Dadié du meilleur écrivain de Côte d'Ivoire, vous avez refusé le montant d'un million de récompense ! Pouvez-vous nous donner les raisons de ce fait extraordinaire ?
"Cette question n’est plus d’actualité. Allons de l’avant."
Tiburce Jules Koffi aurait construit une bibliothèque à Botro, son village. Quelles sont ses motivations ? Quel est l’objectif d'un tel investissement privé ?
"Une bibliothèque, c’est fait pour y réunir des livres afin d’en favoriser la lecture par ceux qui n’en ont pas. Fonctionnaire, je suis à la retraite. Ce qui me donne le temps d’être le plus souvent parmi les miens, surtout la communauté villageoise. Le village où sont les restes de mes parents : grands-parents, mon père, ma mère, des frères, des cousines, cousins, neveux, nièces. Mais aussi les vivants. Notamment la jeunesse scolaire, lycéenne et estudiantine. Il n’y a pas de librairie à Botro, pas un centre culturel à proprement dire. Homme de Lettres, j’ai estimé nécessaire de construire une bibliothèque pour occuper le temps des jeunes par les livres et non par le gbêlê, le coupé décalé assourdissant.
Ma bibliothèque personnelle comprend près de 4000 livres. J’ai donc entrepris la construction d’une bibliothèque d’une capacité d’accueil d’au moins 6000-7000 livres, répartis entre les livres pour enfants, les élèves, ensuite les étudiants et les chercheurs. L’édifice n’est pas encore achevé., faute de moyens financiers. Mais le chantier est très avancé. J’en prévois la finition au plus tard en juin 2025 ou même à la fin de l’année 2025.
L’objectif d’un tel investissement ? Une certitude : je ne compte pas en faire un business. Papa nous a donné le livre comme héritage. Il a cru en l’École et aux livres. Il a scolarisé nombre d’enfants du village. Papa n’est plus. Dans la famille, il est admis que je suis celui qui lui ressemble le plus. C’est peut-être une manière d’honorer sa Mémoire."
Récemment, le père de la poésie burkinabé s'est éteint. L'avez-vous connu ?
"Oui. Quel étudiant ivoirien des années 1970-1990 n’a pas connu Maître Pacéré Titinga ? C’était un des poètes préférés du professeur Zadi Zaourou. Il nous a apprit à aimer cette poésie du langage du tambour, que proposait Pacéré Titinga à la communauté des hommes des lettres et des anthropologues. Bendrologie, comme drummologie : tel est le nom de sa trouvaille artistique et scientifique. C’était l’époque où le maître révélait son esthétique dramaturgique appelé didiga ou l’art de l’impensable. C’est au Théâtre de la Cité, en 1980-81, à l’occasion de la Grande première de La termitière, le manifeste dramaturgique du didiga, que je l’ai vu.
Nous avions déjà étudié sa poésie au département de Lettres modernes. Nombre d’entre les étudiants de M. Zadi ont effectué des voyages de recherches à Manéga. Il y a eu des travaux de recherche (exposés, mémoires de licence, maîtrise, DEA, thèses) sur Pacéré Titinga. C’est une référence en matière de poésie africaine, exprimée au moyen d’une parole artistique médiatisée (ici les tambours émetteurs de messages codés.)"
Avez-vous été, vous aussi, à Manéga ?
"Oui. J’ai fait le pèlerinage à Manéga, par curiosité intellectuelle, sans aucun objectif universitaire. J’ai été fortement impressionné par cet espace. J’ai même crée une pièce musicale intitulée « Manega road », que j’ai enregistrée dans un studio, à Paris, au cours de l’année 2017. Cette pièce a servi de musique d’un film."
Quelle image retenez-vous de Me Pacéré ?
"C’était un homme charismatique, attachant, respectable. Un remarquable orateur. Un intellectuel de haut niveau. Mathilde Moreau m’a dit ceci de lui : Il a eu le mérite de s’être toujours mis au-dessus de la politique. Il n’a jamais eu maille à partir avec les différents régimes conflictuels qui se sont succédés dans son pays, depuis l’époque de la Haute-Volta jusqu’à l’avènement du Burkina-Faso. Hommage donc à cette figure noble du continent. Je dis merci aux intellectuels et créateurs ivoiriens qui ont pu effectuer le déplacement à Manéga pour honorer sa mémoire ; notamment à Mathilde Moreau, plasticienne de renom. "À suivre...
Aboubacar Ben Doumbia