LITTERATURE : Mahoua S. BAKAYOKO, une romancière au service de la lutte contre la migration irrégulière.

  • Par Akina De Kouassi
  • 09 Août 2020
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Auteur d’une huitaine d’ouvrages, Mahoua S. BAKAYOKO est une « accoucheuse » de livres qui monte en puissance et dont la plume est une arme de sensibilisation contre le récurent phénomène de la migration irrégulière.


Cette ex enseignante qui consacre désormais son temps à la production d’œuvres littéraires ne manque pas une seule année sans publier au moins un livre depuis sa première sortie bibliographique en 2007. On notera les titres suivants :

-La Rébellion de Zantigui (roman) ;

-Sous le joug d’un Dangadeh (roman) ;

-Chroniques étranges d’Afriki (récits) ;

-Chroniques étranges d’Afriki, Tome 2 (récits) ;

-On me l’a ôté (roman).

Mais il y a eu surtout l’ouvrage TOUNGHAN ou les écueils de l’immigration qui fera l’objet de notre étude.

Répartis en trois Tomes, TOUNGHAN ou les écueils de l’immigration est un ensemble de nouvelles qui font la chronique de la migration des jeunes compétences africaines vers l’eldorado occidental, en empruntant des moyens et méthodes très timorés, au prix de leur vie.

On serait tenté de se demander pourquoi Mahoua accorde jusqu’à trois Tomes à un sujet comme l’immigration qui pourtant, défraye la chronique et est le centre d’intérêt de plusieurs concertations des dirigeants de l’ONU. Quel souffle nouveau peut apporter Mahoua dans le débat ? Que peut être sa contribution d’écrivaine, là où le lecteur en quête d’évasion attend d’elle un récit de contes de fée qui serait le fruit du labeur de son imagination ? Ne serait-elle pas en manque d’inspiration au point de s’acharner sur ce seul sujet de l’immigration irrégulière, assez exploité par ses confrères de la plume ?

Autant de questions que nous sommes tentés de nous poser, après avoir vu aligner dans les rayons des librairies, les trois Tomes de TOUNGHAN ou les écueils de l’immigration de Mahoua S. BAKAYOKO. Cependant, il suffit juste d’avoir ses bouquins entre les mains pour comprendre l’appétit vorace de Mahoua, déterminée à apporter sa contribution face à ce phénomène qui est une sorte de gangrène détruisant l’Afrique et sa jeunesse, au-delà des discours creux des décideurs en grande partie responsable de ce crime collectif.

Pour Mahoua qui a été témoin vivant de scènes ahurissantes des effets de l’immigration irrégulière en Arabie ou ailleurs, sur ses compatriotes qui ont troqué leur dignité humaine contre des rêves chimériques du « paradis » arabo saoudien ou celui des USA ou de l’Europe, il fallait aller jusqu’au fond et à la racine du sujet ; de sorte que trois livres sont vraiment très peu pour instruire le lecteur sur la catastrophe de ce phénomène.

Epouse d’un diplomate, Mahoua a pu en apprendre assez sur ce phénomène, pour avoir entendu et vu plusieurs cas de situations irrégulières vécues à l’étranger et auxquels les consuls ou ambassadeurs sont régulièrement confrontés. Ce qui serait d’ailleurs le déclic de sa vocation d’écrivaine. Du reste, elle ne manque pas de l’indiquer dans ses propos liminaires, pages 9-10 du tome 2 de son livre TOUNGHAN ou les écueils de l’immigration :

« Un jour de l’an 2007. J’embarquais à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, à bord de la célèbre compagnie Emirati, rejoindre mon époux qui venait de prendre fonction à l’ambassade de Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite. […] Alors que l’idée d’écriture faisait son petit bonhomme de chemin, un fait divers des plus dramatiques - sinon sordides – allait m’ouvrir les yeux sur la condition de nos frères africains immigrés. En effet, une jeune dame ivoirienne en situation irrégulière, qui avait rejoint son époux, lui-même clandestin, rend brusquement l’âme en pleine chaussée, dans une rue de Riyad. Son corps resté pendant des heures sur le chaud bitume, en présence des nombreux policiers sur les lieux, ne sera finalement dégagé qu’avec l’arrivée d’un immigré en situation régulière, se présentant comme (étant) son époux… »

Ce n’est donc pas par effraction que Mahoua S. BAKAYOKO est rentrée dans le cercle « assez restreint » des écrivaines qui militent pour la cause commune et qui ont pour ligne éditoriale l’éveil de la conscience juvénile africaine.

Enseignante de lettres, Mahoua ne fait qu’associer les lettres qu’elle enseigne aux expériences dont elle a été témoin. Ce jumelage lui réussit très bien, au point que, en sa double qualité de témoin de l’histoire et de femme de lettres, c’est sans ambages que Mahoua relate les événements. Elle le fait précisément dans un style satirique et avec cette aisance dans l’expression dont seuls sont capables ceux qui ont le secret du maniement de la langue de Molière.

TOUNGHAN ou les écueils de l’immigration, tel est le titre de son premier recueil de nouvelles. C’est un titre évocateur, pour qui connait la passionnée Mahoua, originaire du Worodougou, dont la tête est certes dans le modernisme, mais les deux pieds joints sont dans la tradition ; cette tradition riche et diverse de chez elle, dans le Woroba. C’est pour cette bonne raison que, dans ses textes en général, chaque lettre de chaque mot et de chaque phrase a un sens.

TOUNGHAN, en Kôyaka, ethnie parlée par l’auteur, signifie « l’aventure ». Mais de quelle aventure ?

En lisant ces récits brefs de Mahoua sur cette aventure du Noir hors d’Afrique, on est très tôt amené à s’interroger. Pourquoi toujours et encore le Noir ? Comme si son destin était à jamais lié à la tourmente, à l’incertitude, à l’exode forcé, toujours à la merci des autres qu’il semble avoir été créé pour servir, au gré de leurs humeurs.

Chacun de nous a souvenance des servitudes vécues depuis l’époque esclavagiste arabo-musulmane jusqu’à la période colonialiste ; le rôle du Noir que décrit encore Mahoua dans le TOUNGHAN est resté inchangé. Un rôle qui semble confirmer la théorie de la malédiction du fils de Cham, petit-fils de Noé, telle que relaté par le livre de la Genèse et commenté par les exégètes. La lecture des récits des trois tomes de TOUNGHAN incite à la réflexion.

Comment se fait-il, oui comment expliquer que cinq à six décennies après la proclamation de notre souveraineté, les enfants du continent noir « préfèrent mourir dans la mer que d’avoir honte (de son infortune) devant sa mère » ?          

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